Jean Pierre Ceton
romans

FICTIONS EN LIGNE //

Le coup du pistolet
Emois remontés de l'adolescence
La voyante et Rimbaud
Enfermés dans un jardin le soir
Une simple silhouette qui dansait
La trahison de Bologne


EMOIS REMONTES DE L'ADOLESCENCE

On avait tout le temp pour nous décider, on s'était dit ça. Pour le début juillet, on avait prévu de partir en Corse, une semaine en baie de Saint Cyprien, toute bleue de soleil, que du bonheur... Pour la suite, on pouvait voir venir et prendre une décision au dernier moment.

Au retour, on resterait une semaine à Paris, on avait dit qu'on y vivrait comme si on y était pour un séjour de vacances, puis on partirait une autre semaine dans la famille de ma femme à la campagne, suivie d'une semaine encore à Paris, puis re-départ à la campagne chez des amis et là enfin on pourrait réserver des billets d'avion pour décoller un peu avant ou un peu après le 15 aout. On dit souvent qu'il y a des prix de malheur au dernier moment, surtout vers la fin des vacances...

Pour aller où? On avait tout de suite pensé à San Francisco et plus on y avait pensé, plus l'idée nous avait plu. Bon, notre petit, pas encore 7 ans, avait dit qu'il ne voulait pas y aller quand on lui avait annoncé les 12 heures d'avion, voire 15 à 18 heures s'il y avait une escale.
Après on l'avait convaincu, tu sais dans l'avion on peut dormir, regarder des films et aussi jouer à des jeux vidéos...

Début aout, un peu avant de partir à la campagne chez nos amis, on avait regardé sur le net pour voir où en étaient les prix au hasard des multiples paquet-voyages.
En fait j'avais déjà pas mal pianoté durant les semaines précédentes sur le site de Vousfairepartir.com, des séjours sur mesure à San Francisco, il y en avait des vraiment pas chers, parfois avec une réduction incroyable en réservant avion et hôtel combinés.

Notre grand d'encore 14 ans aurait plutôt préféré qu'on aille à New York mais San Franscisco ça lui convenait, dormir avec son frère il voulait bien, donc on prendrait une seule chambre à deux lits double, ça limitait de beaucoup les frais. Et puis de dix jours on avait ramené le séjour à 9, c'était d'ailleurs la durée du city pass qui permettait de se déplacer autant qu'on voudrait dans la ville sur les différents moyens de transport...


Des prix bas il y en avait, même en réservant dans un hôtel de luxe. Un soir on s'était emballé, ma femme et moi, et plus on y avait pensé, plus on s'était emballé. Le Ritz Carlton était à moins de 1300 € par personne, oui oui avion et hôtel compris, non, pas avec petit-déjeuner, mais c'était pas grave...
On avait hésité, on avait encore hésité, peut-être que ce serait encore moins cher au retour de la campagne, on avait dit. Finalement on avait préféré attendre.
Pour être honnête, c'est moi qui avais poussé à ne pas réserver sur le moment. A croire que je n'étais pas tout à fait sûr de vouloir partir...

La veille du départ pour la campagne, cela nous était revenu, plutôt ma femme qui avait relancé l'idée.
-Et si on allait au Carlton, comment ça s'appelle, le Ritz ou le Carlton?
-Les deux, j'te dis.
-Oui mais on ne sera pas assez fringués pour y aller.
-Si, en Amérique, tu peux arriver décontracté dans un grand hôtel, je t'assure...
-Alors on réserve, elle avait dit.
-Attends, je réfléchis encore...

Je m'étais installé à la fenêtre pour réfléchir en même temps que capter un petit air frais qui venait enfin de souffler dans cette soirée chaude du 2 aout... Soudain, quoi? qu'est-ce que je vois au 1er étage de l'immeuble d'en face, juste de l'autre côté de la rue?
Un moment d'incertitude à me demander si j'avais perdu la boule ou si je voyais double...
J'ai dit à ma femme: viens voir, de la folie...

Elle était connectée à l'un des réseaux sociaux qui vous prennent la tête au point de ne plus entendre une parole proche, même de son mari. Comme j'insistais, elle a demandé ce qui m'arrivait?
-A moi rien, sauf ce que je vois... on dirait un film porno sur une chaine cryptée, sauf que c'est en clair, si tu vois ce que je veux dire?
-Non, je ne vois pas
-Bien sûr que tu ne peux pas voir si tu es scotchée à ton écran, c'est dehors!

Elle avait levé les yeux un instant, juste pour me prier d'arrêter mon délire. Et puis s'était reprise:
-J'en ai plus que pour trois secondes, vas-y, va dormir, je te rejoins...
Façon de se débarrasser de moi pour continuer de jouer sur son Facebook... Ou alors c'était son Myspace, encore qu'elle y allait moins depuis qu'elle était sur Facebook. En tout cas ce n'était pas encore Twitter...

-Tu ne veux pas me croire, je te dis qu'il y a un couple en bas qui se fait tout un cinéma, juste au bord de leur fenêtre, de l'autre côté de la rue...

C'était vraiment incroyable, surtout que depuis notre 5 ème étage, on avait la vue plongeante. Et même une vue pénétrante, si j'ose dire, dans l'appartement de ces voisins.
J'ai regardé un moment, assez froidement, avec un certain plaisir. Mais à un moment, sans doute que la progression de leur gestuelle, si privée, m'a provoqué un sentiment de gêne qui a fait que je me suis décidé à quitter l'observatoire où j'étais pour aller dormir.


Au réveil, le lendemain, prenant la main de ma femme, avant de l'embrasser de multiples baisers doux comme souvent le matin, je lui ai dit, pour San Francisco on réservera au retour, on sera le 10, ça veut dire à peu près une semaine avant notre départ. On pourrait partir le 17, j'ai repéré cette date hier, c'est les meilleurs prix, en plus, ce jour-là les vols sont sur Air Canada, c'est bien Air Canada, en tout cas mieux qu'un de ses vols bon marché qui calcule au plus juste la quantité de kérosène, au risque d'en manquer trois gouttes au moment d'atterrir...

-D'accord, elle a dit, mais emporte ton ordinateur à la campagne, si jamais l'envie nous prenait de réserver avant...
-Tu sais bien qu'il n'y a pas d'internet là-bas...
-Je croyais qu'on pouvait le capter par satellite
-Oui mais c'est potentiel, il faudrait s'équiper...
-Enfin il doit bien y avoir un cybercafé, même au bout du monde il y en a...

Au retour, le 10 aout en début de soirée, je me suis précipité sur l'ordinateur, démarrer la machine, ouvrir le courrier, il y avait une série de mails de Vousfairepartir.com qui m'inctaient à poursuivre ma recherche d'un voyage sur mesure.

Je suis allé aussitôt sur leur site, hélas j'avais surement mal enregistré mes précédentes visites, je n'ai retrouvé aucun des premiers choix que j'avais fait, pas plus le Ritz Carlton qu'un hôtel avec vue sur baie...
Fallait tout retaper, départ, destination, date, sans parler de l'âge des enfants...

J'en ai attrapé un moment de découragement jusqu'à ne plus savoir pourquoi il fallait partir là-bas.
Dans ces cas-là, c'est une petite manie chez moi, je me déconcentre, alors je lâche mon poste de travail et je vais faire un tour à la fenêtre. Je crois que ça remonte à ma petite adolescence, quand je m'ennuyais, j'allais à la fenêtre regarder les passants, en réalité je devais espérer qu'une copine passe dans la rue, je pouvais toujours...
Mon père régulièrement m'invitait à aller lire plutôt que de regarder par la fenêtre...

Avant même d'avoir ouvert la fenêtre en grand, j'ai pu constater que le couple était en action.
-Un film porno je te dis, viens voir.
Mais ma femme était descendue à l'étage au-dessous, je ne sais pour quoi y faire...

Le type d'en face était fou infernal, je voyais qu'il venait de s'installer tout tout près de la fenêtre, juste à la limite de l'extérieur. Plus près de l'extérieur, ç'aurait été dehors, autrement dit basculer par la fenêtre en roulade à reculons...
De toute façon, avec la vue pénétrante qu'on avait, l'image ne risquait pas d'être coupée, rien des corps ne manquait à la vue... Le type, déjà foutu à poil, qui venait juste d'enlever la culotte de la fille tandis qu'elle retirait d'un geste vif son tee-shirt, était en train de grimper sur elle, entreprenant aussitôt une série de mouvements bien connus d'aller-retours.

C'était si caricatural qu'on aurait dit du faux, tant il faisait comme le font au cinéma les acteurs qui répètent exagérément des gestes, visant à sur-montrer qu'ils s'enfoncent par à-coups au plus profond de la partenaire...

-De toute façon, a dit ma femme en remontant à l'étage, peut-être c'est l'effet de la campagne, mais le Grand Hôtel me parait moins nécessaire, qu'est-ce que tu mates?
-Je t'ai dit, les petits voisins d'en face, il font les pigeons, ils roucoulent...
-Pourquoi tu ris?...
-En fait, ils font plutôt les lapins, tu veux voir?
-Je m'en fous des voisins, je préférerais chercher sur le net s'il y a un voyage qui nous irait...

...

19/03/2010  tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à  j. 16 /04/2010


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