Jean Pierre Ceton
romans

FICTIONS EN LIGNE

LA BELLE PHILOSOPHE

La belle philosophe s'était assise légèrement en avant de moi sur la terrasse de ce café bien fréquenté. Il aurait donc fallu qu'elle se retourne pour me voir. Tandis que moi je la captais comme sujet d'observation, profitant du moindre de ses mouvements latéraux pour mieux la voir.

J'ai tout de suite pensé que dans cette belle tête de cheveux blonds il y avait toute la philosophie occidentale.
Oui, au premier regard, j'ai vu que sa belle tête en était pleine, avec dedans tout Platon, Aristote, Marx, Kant, Spinoza et Schopenhauer etc.
Et aussi Heidegger, non ? Peut être même un peu de philosophie orientale ?

C'était inouï de penser que tous ces textes étaient dans cette belle tête. Et qu'en plus, il y avait tout ce qu'elle en pensait et, en mémoire, presque tout ce qu'elle avait écrit sur eux ou certains d'entre eux, sans que je sache de qui elle était la spécialiste. En tout cas, il s'y trouvait ce qu'elle en pensait de plus profond, ce qu'elle aurait voulu en dire de plus vrai...

D'abord en attente de quelqu'un, elle consulte et se sert de son téléphone à plusieurs reprises. Elle doit avoir un rendez-vous de production, ou bien d'amour? Elle attend. Elle renvoie le serveur venu prendre sa commande. Puis, le rappelle et se décide à commander.

Peu après un homme survient, qui la regarde non sans insistance, mais finalement va s'assoir plus loin.

Et puis une amie est arrivée, beaucoup moins belle qu'elle, ce qui a renforcé encore sa beauté.

Avant de se mettre à manger ce qu'on vient de lui servir, elle bloque avec ses genoux un gros sac dans lequel elle a manifestement l'habitude de transporter de gros livres et moults dossiers. Elle l'accroche entre ses jambes, c'est une habitude qu'elle a prise, par peur de se le faire voler ou bien de l'oublier en partant?

Au deuxième regard, qui n'efface pas le premier, je capte sa détermination, la force de son être. C'est une fille qui en a  je le sens, de la force.
Et plus je la regarde plus je le saisis que c'est une guerrière, cette jolie femme blonde. Et en fait je comprends qu'il faut qu'elle le soit dans ce milieu médiatico-universitaire pour arriver à exister. Et pour y être parvenue, à décoller.

Tout en mangeant, elle parle (parce qu'une philosophe doit savoir parler en toutes circonstances), elle parle avec vivacité, avec une agilité nerveuse dans de multiples petits gestes qui marquent son visage et ses mains. Et bien sûr ses cheveux. D'une belle blondeur ondoyante.

Elle semble raconter à son amie comment elle a répondu, rétorqué, envoyé se faire voir ailleurs quelqu’un qui avait osé lui dire que, ou lui demander de… Pire, lui avait fait une entourloupe, une petite vacherie, ça arrive encore assez souvent dans leur milieu. Si ce n'est lui avoir fait un enfant dans le dos, ce qui est une métaphore impayable !

Je suis de plus en plus séduit par son personnage. Frustré à mesure de n'être que spectateur de sa personne. De me trouver si loin d'elle alors qu'à son arrivée j'avais éprouvé du bonheur à la voir s'assoir si près. D'avoir envie de lui parler sans pouvoir le faire.

Physiquement, ce que j'aime le plus ? C'est elle.
Pas dans les détails, ni les cheveux ni la nuque, ni le haut de l'épaule, encore que... Pas davantage la manière de tenir sa tête. J'aime toute sa personne que je perçois à travers le moindre mouvement...

Perdu dans mes pensées, je ne me suis pas tout à fait rendu compte qu'elle allait partir, qu'elle était partie. Déjà de l'autre côté du boulevard.

Est-ce que j'aurais pu m'entendre avec elle ? Rien de moins sûr. D'abord parce qu'il faut pouvoir échanger des choses très intimes pour le savoir.
Ensuite, parce qu'on peut se tromper complètement dans l’enthousiasme de la première rencontre.
Et puis on a beau être une vraie philosophe, une belle femme peut être une petite emmerdeuse. Tout comme un homme, bien sous tous rapports, peut-être un con de première.

Le drame majeur, c'est quand on s'entend super bien intimement et qu'on n'a pas de plaisir à se promener ensemble dans la rue. Le drame plus répandu, c'est quand on a du plaisir à se promener dans la rue et qu'on ne s'entend pas bien intimement.
Le drame le plus commun, c'est quand tout ça se situe entre les deux !

10/7/2013  tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à  j.  19/12/2013

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