Jean Pierre Ceton
romans

LE PONT D'ALGECIRAS (roman)

est paru aux éditions L'ACT MEM (ex Comp'Act)
sortie le 15 avril en libraire

ISBN 978-2-35513-013-7
130 pages, 15 X 21 cm, 12 €

1ère présentation publique, La Maréchalerie Centre d'art contemporain ENSA Versailles 19/02/2008

1ère lecture en librairie, L'arbre à Lettres  14, rue Boulard Paris 14ème 26/03/2008

Extrait entretien avec Alain Veinstein, Du jour au lendemain, France Culture 15/05/2008  

(Les premières pages)

Dans la chambrée de lits superposés, parfois jusqu’à
dix et plus, je suis installé tout en haut. J’avais beaucoup
insisté pour qu’on me réserve cette place lorsque
j’étais venu repérer. Pourtant la personne du service
ne cessait de me répéter que de toute façon c’était la
seule disponible, par les temps qui courent elle avait
ajouté, sans que je sache si elle se moquait de moi…
Avec le recul cela m’est bien égal, je ne regrette rien,
je suis même content d’avoir insisté, on ne sait jamais
quand on en fait assez. Ici je me sens à l’aise, presque
peinard, en plus je m’entends bien avec mes voisins.
Tous ceux que je croise je les salue en souriant, plusieurs
fois par jour si c’est le cas, et ils me le rendent
bien ce salut, avec le sourire également.
Bon, la plupart je ne les vois jamais, je les entends
lorsqu’ils partent ou reviennent se coucher, et s’ils
sont très bruyants, parfois après une soirée de soûlerie,
eh bien je fais comme si je ne les entendais pas.
Le haut-parleur est fixé au mur juste au-dessus de
mon lit. Tout de suite je l’avais repéré, car sa présence
était assez stupéfiante, pas loin de constituer une franche
anomalie. Mais c’est seulement plus tard que j’ai intégré
son existence avec quelques inquiétudes. J’en avais évidemment
parlé à la guide qui me pilotait avant d’aménager,
elle avait juste répondu que c’était inévitable.
Pas vraiment ce que je lui demandais, j’aurais
voulu qu’elle m’assure que ce n’était pas dangereux,
que ça n’allait pas poser de problèmes ...
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Ensuite, quand j’étais revenu entre deux rendezvous
déposer mes bagages, je ne m’en étais guère
inquiété tant les voisins présents ce jour-là semblaient
y être indifférents.
Cependant, par acquit de conscience, j’avais fait le
détour jusqu’au bureau du service où l’on m’avait expliqué
qu’on ne pouvait rien faire car c’était le meilleur
emplacement pour que tout le monde puisse capter le
haut-parleur, que de surcroît on s’y habituait très bien.
Une femme plus affable avait ajouté qu’elle devait
même dire qu’après un certain temps on ne pouvait
plus s’en passer.
Je ne suis pas du genre à réagir à chaud et encore
moins à me laisser envahir par la panique. L’un de mes
grands-pères disait qu’on n’était pas venu sur Terre
pour rigoler, l’autre qu’on n’était pas né pour se faire
emmerder. Je crois que j’ai opéré une synthèse de ces
deux points de vue qui me permet de sortir indemne
d’à peu près toutes les situations.
Dans le cas présent, j’avais posé que je trouverais
bien une solution si c’était trop insupportable.
En fait le haut-parleur s’est avéré dès le début représenter
une gêne acceptable. Dans la journée on pouvait
ne pas y prêter attention, tout comme on ne l’écoute pas
forcément dans les couloirs des gares ou dans les allées
des centres commerciaux si on est occupé par ses affaires.
J’aurais cependant préféré que le volume sonore
soit plus faible, mais j’ai vite observé que si je m’agitais
trop par exemple, des mots ou des parties de phra-
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ses m’échappaient. Donc à volume sensiblement inférieur,
j’aurais risqué de ne pas capter tel ou tel détail
indispensable à la compréhension d’une information.
Le haut-parleur diffuse des nouvelles de façon
constante, 7 jours sur 7, nuit et jour, 24 heures sur 24,
sans arrêt. C’est très prenant, et même très valorisant,
car on éprouve rapidement l’impression de savoir tout
sur tout, ne serait-ce que parce que les nouvelles sont
répétées comme au moulin.
Le côté positif c’est que cela parle de tous sujets,
aussi bien de ce qui concerne notre vie d’ici que de ce
qui se passe là-bas au bout du monde.
Ciela, ma seule voisine avec qui j’échange des sourires
de loin, bat des bras quand elle entend des nouvelles
qu’elle n’a encore jamais entendues.
Je dis de loin, les sourires, parce que Ciela est une
voisine de très bas. Elle est carrément installée au dernier
niveau de l’entresol, je me demande pourquoi elle
a choisi cet emplacement. Il y a des gens qui n’aiment
pas les hauteurs, soit ils ont peur de paniquer soit ils
souffrent de vertiges. Souvent les deux.
Donc avec Ciela on s’aperçoit, elle en contre-plongée
et moi en plongée radicale. Heureusement elle a un
sourire qui a de la pêche, donc je la distingue nettement
même quand l’éclairage est faible.
Par contre, mon voisin de palier, si j’ose dire, à qui
je parle très peu, vraiment trop bizarre et pas drôle du
tout, m’a vivement rabroué dès les premiers jours...

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